
#LeSaviezVous : 1977, Hey, ho, let’s go !
L’aventure punk au Bataclan
LES ORIGINES D’UN MOUVEMENT MUSICAL ET CULTUREL MARQUÉ PAR L’ESPRIT DE SUBVERSION
Une culture anticonformiste
Au milieu des années 1970, aux États-Unis et en Europe, de jeunes groupes musicaux sont brutalement désignées comme “punk”. Ils ont en commun leur musique, qui renoue avec une idée de simplicité et de frénésie du rock, en réaction au rock progressif des années 1970 jugé sophistiqués et pompeux, avec leur solos de guitare interminables. Il est difficile de donner la paternité du mouvement punk à un groupe en particulier. Beaucoup considèrent que les jalons du punk ont été posés dès le début des années 1970 par les New York Dolls et les Stooges (entre autres), et que le premier concert punk a vraisemblablement été donné par les Ramones en avril 1974 au CBGB, scène mythique de New York.

Ramones
Par ailleurs, dans un contexte plus général de malaise social et de morosité ambiante, ces groupes, par leur musique, leurs textes et leur attitude provocatrice, incarnent la révolte d’une jeunesse désabusée et désenchantée, à la suite de la mort du rêve hippie et de ses idéaux : l’idéologie “Peace & Love” laisse place au “No Future“.
Sans espoir de changer la société, sans volonté de proposer de nouvelles alternatives pour un monde meilleur fait d’amour et de solidarité, le mouvement punk parisien de 1976 opta pour l’activisme culturel situationniste et proposa, dans un pur geste dandy, de tourner un miroir grossissant vers la société pour qu’elle s’y reflète ; (..) ce qu’elle y vit alors fut le simple spectacle de sa décomposition, d’une jeunesse se croyant sans futur.
Hervé Zénouda – Au tout début du punk parisien : du lycée Charlemagne au Club 100
La transgression passe aussi par le vêtement : badges, perfecto, Dr. Martens, épingles à nourrice et autres chaines de vélo deviennent un uniforme identitaire. La culture et la mode punk affirment le “Do it yourself ” : de leur musique, aux vêtements, en passant par les affiches de concerts et fanzines, les punks anti-consuméristes cherchent à tout fabriquer eux-même.
Diffusion du mouvement en France
Les fanzines et la presse contribuent grandement à promouvoir la culture punk en France. Les rock critic deviennent des prescripteurs: Yves Adrien dans Rock & Folk avec ses rubriques “Trash“, Patrick Eudeline dans BEST, ou Alain Pacadis qui relate ses nuits punk dans sa chronique “White Flash” de Libération,…. Et le nom du Bataclan revient régulièrement dans leurs chroniques !
Dans la France de Giscard, la musique punk fait aussi une percée fracassante grâce à Marc Zermati souvent surnommé le “parrain du punk français“, fondateur du label Skydog en 1972, et organisateur du premier festivals punk européen à Mont-de-Marsan en 1976. Parallèlement, il ouvre en 1972 un magasin de disques Open Market dans le quartier des Halles, qui devient une référence pour tous les fans de punk.
Pascal et Julien Regoli, Yves Adrien et Alain Pacadis à côté du Bataclan en 1977
LE BATACLAN, HAUT LIEU DU PUNK EN FRANCE
1977, en quelques mois, le tsunami punk déferle sur Paris. Outre la presse et les disquaires, un lieu en particulier a joué un rôle de catalyseur dans le déferlement de la vague punk : la salle du Bataclan.
Le rôle décisif de Pop 2
Dès le début des années 1970, Yves Adrien, Alain Pacadis, Mark Zermati ainsi que tous les fans et musiciens qui gravitent autour de l’Open Market trainent souvent leurs Dr. Martens jusqu’au Bataclan pour assister aux concerts des groupes emblématiques de l’époque qui se produisent dans le cadre de l’émission Pop 2, présentée par Patrice Blanc-Francard. Glam, prog, krautrock,… le Bataclan accueille des groupes anglo-saxons aux musiques aventureuses : The Velvet Underground (1972, avec un certain Jacno dans le public), New York Dolls (1973), Can (1973) ou MC5 (1973) sont des groupes qui laissent présager prémices du punk.
![]() The Velvet Underground © Guy Ferrandis / DALLE |
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De nombreux musiciens en herbe à Paris comme en province se forgèrent, grâce à Pop 2, une culture musicale (…) voir les New York Dolls à leurs débuts fut un signe précurseur de l’explosion punk à venir.
Hervé Zénouda – Au tout début du punk parisien : du lycée Charlemagne au Club 100
Punk US : Ramones & Talking Heads, Johnny Thunders & the Heartbreakers – 2 mai 1977 et 8 décembre 1977
Le 2 mai 1977 ceux que l’on considère comme le premier groupe de punk au monde, Les Ramones, choisissent le Bataclan pour leur premier concert français et ramènent dans leurs valises en guise de première partie, un autre groupe prêt à exploser : Talking Heads, qui font alors un carton plein avec Psycho Killer.
Bougons et fermés comme des huîtres, les Ramones pulvérisent leurs deux premiers albums à une vitesse infernale. Devant le guitariste, un cercle approbateur se forme, on reconnaît Vincent Palmer, Maxime Schmitt, Jean-Baptiste Mondino, tous guitaristes, tous éberlués par l’incroyable leçon de tronçonneuse rock’n’roll envoyée par Johnny Ramone le psychorigide.
Dans le public se trouve aussi Pascal Regoli (bassiste des groupes de punk parisien Angel Face et Loose Heart) qui trainent alors son appareil photo et son magnétophone dans les salles de concerts pour capturer la scène punk du moment. Il est au Bataclan pour le concert immanquable des Ramones et des Talking Heads. Découvrez les enregistrements sonores et ses photos du concert, dont l’indémodable Blitzkrieg Bop martelé par les Ramones à 5min15 du fichier audio :
En décembre 1977, ce sera Johnny Thunders (ex New York Dolls) et ses fameux Heartbreakers qui remonteront le boulevard Voltaire en direction du Bataclan, avant de donner un concert des plus énervés “qui sera sans doute l’un des meilleurs concerts de leur tumultueuse carrière, brûlant littéralement les planches du Bataclan, hurlant qu’on est tous Born to Lose” (Philippe Manoeuvre). Et en première partie, on découvre le groupe le plus trash de la scène punk française, Gazoline (mené par Alain Kan et Fred Chinchin).
Punk UK : The Clash & The Damned – 29 septembre et 6 octobre 1977
Automne 1977, un vent de liberté continue de souffler à Paris. En une semaine se succèdent au Bataclan, pas moins de deux des plus grands groupes de punk britannique du moment. The Clash d’abord, pour un concert organisé par Mark Zermati, toujours lui, et pour qui “il faut promouvoir une musique radicale et les Clash jouent une musique radicale“. En effet, The Clash véhiculent en 1977 toute la quintessence de la radicalité du punk : radicalité vestimentaire, avec “tenues militaires teintes en noir agrémentées de slogans peints au pochoir et accessoires métallique” (A. Pacadis), et surtout, radicalité dans la musique, avec des textes qui indiquent des directions politiques plus marquées que leurs condisciples : l’anti-américanisme (I’m so bored with the USA) mais aussi l’appel à la violence pour se rebeller contre une société inégalitaire et sans avenir (Cheat, White Riot,…). Pour ceux qui étaient dans la fosse du Bataclan ce soir là, nulle doute qu’ils ont du être médusés par la prestation et la rage du quatuor de Londres…

Alain “No Future” Pacadis chronique le Clash avant le concert au Bataclan, Libération, le 29 Septembre 1977
Joe postillonne comme un diable épileptique, Mick est par contre l’image parfaite du rocker classieux. Paul est impeccable avec sa basse portée très bas et son look élégant. Le nouveau batteur frappe comme un métronome emballé. Curieusement, pas vraiment de pogo dans le public, les Parisiens paraissent plutôt fascinés par ce qui se passe sur scène, par cette absolue nouveauté que constitue cette musique inouïe.
Un concert punk entré dans la légende qui a, par chance, été gravé dans l’histoire sur un album live Paris is Singing
Et pour ceux qui n’en n’auraient pas eu assez, le 6 octobre 1977, ce sont The Damned, autres dignes représentants de la scène punk qui assourdissent le Bataclan et en débitant à cent à l’heure leurs morceaux avec énergie et agressivité : “du rock qui bastonne sévère, moins mélodique que sur l’album, chaotique par moments, avec un son délicieusement fort mais redoutablement saturé, qui nous a souvent empêché de reconnaître les chansons” (Une vie de concerts).
L’année 1978 sera aussi une grande année punk au Bataclan avec notamment les concerts de The Stranglers et de Pere Ubu. Et le punk made in France n’est pas en reste : se produiront au Bataclan, les lyonnais de Starshooter (1978), Edith Nylon (en première partie de The Police en 1979) ou encore Kas Product (1983), groupes dans la lignée punk et du courant dit des Jeunes Gens Mödernes.