
Cultissime #8 : la Britpop, ou l’invasion de la Pop
made in UK au Bataclan
Le Bataclan, avec sa réputation de salle phare de toute la planète rock depuis le mouvement punk, a aussi été le théâtre idéal pour accueillir la nouvelle scène de la Britpop au mitan des années 1990…
Une nouvelle “british invasion”
Depuis déjà quelques années, un nouveau vent de jeunesse souffle sur la musique britannique. En réaction au grunge d’outre-Atlantique, une poignée de groupes londoniens, Blur et Suede en tête de file, ressuscite “la richesse mélodique des années 60, l’urgence et la concision du punk-rock des seventies et le détachement et l’insouciance de la décennie 80” (Bruno Lesprit). Dès 1992 les singles sortis par ces groupes rencontrent le succès, donnant l’élan à l’émergence d’une toute nouvelle scène de rock britannique, vite surnommée par les médias “Britpop”. Toute une flopée de groupes dont Suede, Blur, Oasis, Pulp ou encore Supergrass, incarnent cette nouvelle vague qui cherche à remettre la pop UK au sommet des charts mondiaux, à base d’Union Jack, d’accents régionaux, et de textes racontant la vie des “Common People“. Et tous se produiront sur la scène du Bataclan dès leurs débuts, et pas que…
The Battle of Britpop…
Durant l’été 1995, l’Angleterre retient son souffle, qui sortira vainqueur de la joute musicale opposant les deux groupes phares de l’époque : Blur et Oasis….
En 1994 Blur explose avec l’album Parklife et Oasis sort son premier opus, Definitely Maybe. Dès ce moment, et fortement alimenté par les médias britanniques, un bras de fer entre ces deux groupes va rythmer le quotidien des anglais. En 1995, la rivalité entre les deux groupes atteint son apogée : le 14 août 1995, Blur annonce la sortie de son titre Country House le même jour que Roll With It d’Oasis .
Le journal New Musical Express détourne un poster de Mohamed Ali où l’on voit Damon Albarn et Liam Gallagher s’affronter sur un ring de boxe.
Cette rivalité marque également la formation d’un phénomène socioculturel qui touche la jeunesse du pays et qui voit s’opposer deux conceptions de l’Angleterre, le sud face au nord, esthétique brute des frères Gallagher de la classe ouvrière de Manchester face, à l’esthétique travaillée de Blur, les londoniens de la classe moyenne.
Il fallait choisir son camp : Blur ou Oasis.
…Le match s’est aussi joué au Bataclan !
La scène française alors réputée pour ses concerts rock, tumultueux, et ses éclats de bagarres sur scène ou dans la fosse, c’est le Bataclan. Salle idéale où les deux groupes britanniques peuvent en découdre…
Blur : 25 Octobre 1994, 26 Octobre 1995, 19 Mai 2003
“End of a century”
Le 25 octobre 1994, Blur ouvre les hostilité et électrise le 50 boulevard Voltaire à coups de Parklife et de Boys & Girls scandés en choeur par une salle surchauffée. Tout juste un an après son premier passage, Damon Albarn ramène sa gueule d’ange et son band au Bataclan le 26 Octobre 1995, avec toujours une forte dose d’énergie et un soupçon d’insolence. Le groupe rode son album The Great Escape qui vient tout juste de sortir, et l’enthousiasme témoigné par le public ce soir là prouve le génie créatif du groupe et l’efficacité de ces nouveaux morceaux. Blur a littéralement semé la pagaille et le pogo au Bataclan :

© Fabrice Demessence
Les garnements les plus brillants de la Britpop prennent un nouveau virage artistique au début des années 2000, mais, alors qu’ils auraient pu remplir une salle beaucoup plus grande, le groupe reste fidèle au Bataclan pour présenter le 19 Mai 2003, son dernier album Think Tank, sorti deux semaine avant le concert. Entre nouveaux morceaux et jolies ballades acoustiques (Beetlebum, Out of Time,…), Blur ressuscite quelques uns des titres qui ont fait sa renommée, pour le plus grand plaisir de tous :
Oasis : 20 Avril 1995, 21 Mars 2000, 10 Novembre 2008
“Tonight I’m a rock’n’roll star”
Six mois après le premier passage de Blur, le 20 Avril 1995, c’est au tour des frères Gallagher, qui se surnomment eux-mêmes “le plus grand groupe du monde” de défendre leur album Definitely Maybe. Une première partie est assurée par un autre groupe pionnier de la Britpop, The Verve. Le show est fidèle à la réputation des mancuniens : guitares saturées, fosse bien arrosée de bière, et Liam Gallagher, mains dans le dos qui enchaine les tubes sans bouger : Rock’n’Roll Star, Some Might Say, Supersonic, Live Forever, il n’en fallait pas plus pour embraser la foule. Ce soir là, dans les loges du Bataclan, une dispute aurait d’ailleurs éclatée entre Liam Gallagher et Tony McCaroll, alors le batteur du groupe, qui sera congédié à l’issu du concert au Bataclan…
21 Mars 2000, le topo reste sensiblement le même, à quelques tubes près qui se sont rajoutés à la setlist : Wonderwall, Stand By Me, Don’t Look Back In Anger, Roll With It,... tous taillés pour les stades, mais qui font l’effet d’un déluge sonique dans l’enceinte du Bataclan.
L’aura des rockeurs de Oasis est toujours aussi perceptible le 10 Novembre 2008 : de nombreux drapeaux britanniques flottent dans la salle, le public retient son souffle lorsque les lumières s’éteignent, qu’un nuage de fumée ne se forme, et c’est l’explosion générale. C’est parti pour la communion rock :
Rock’n’Roll Star ouvre le show. Bouche collée au micro, bras le long du corps, Liam Gallagher postillonne avec l’insolence nasale qu’on lui a toujours connue. Même avec ses pièces rapportées, le groupe défend la collection des hits d’hier (Wonderwall, Supersonic, Slide Away…) et des succès récents (Layla, The Shock of the Lightning, I’m Outta Time) construits à partir d’une éternelle formule mariant la morgue des Sex Pistols aux mélodies des Beatles.
Le concert est disponible en vidéo et en intégralité :
BRITPOP IS DEFINITELY Bataclan
Ce n’est pas seulement Blur et Oasis qui se produisent au Bataclan, mais toute la scène Britpop qui défile sur les planches de la salle mythique…
Pendant que Oasis et Blur se tiraient la bourre, un troisième grand groupe de Britpop se faisait une place de choix auprès des critiques et des publics, et se produisait au Bataclan, Pulp ! Les 11 Octobre 1994 et 5 décembre 1995, Pulp a conquis les coeurs du public du Bataclan grâce à ses textes satiriques et son leader charismatique au déhanché inimitable : Jarvis Cocker, sorte de dandy de la middle-class : “Le Bataclan est un lieu à son image : indé et mainstream, accessible mais furieusement excentrique” (Carole Boinet)
Le second de ces deux concerts reste cependant dans les annales pour son inhabituelle courte durée : seulement 10 morceaux ont été joués avant qu’une dispute n’éclate entre le violoniste Russell Senior et Jarvis Cocker, entretenant la réputation rebelle du Bataclan : “Je crois que je lui avais même jeté mon ampli à la figure. C’est l’un des rares concerts qu’on n’a pas fini” (Jarvis Cocker).
Jarvis Cocker apprécie aussi particulièrement le Bataclan et l’atmosphère qui se dégage du lieu car il s’y sent “vraiment proche du public” :
“La scène n’est pas très haute. Ce qui est assez excitant, et permet d’interagir. Et quel est l’intérêt de donner un concert si on ne peut pas se sentir proche des gens ? A ce moment-là, autant rester en studio ! C’est très important une salle, ça aide à dessiner un scénario.”
C’est pourquoi, en plus des deux concerts donnés avec Pulp en 1994 et 1995, Jarvis Cocker a souhaité y jouer à nouveau dans le cadre de sa tournée solo en 2009.