
#Lesaviezvous #3 : Le Bataclan, théâtre des premières scènes hip-hop
Crédit photo de couverture : NTM au Globo, par Yoshi Omori
Et non ! Contrairement à ce que beaucoup de médias racontent, la naissance du mouvement rap ne remonte pas exactement à la sortie en 1990 de la compilation Rapattitude !
Entre 1982 et 1983 s’opère une révolution culturelle en France : la mutation des styles musicaux jazz-rock et funk vers les premières formes de hip-hop et de rap. Et ça se passe entre autre au « Bata », comme était surnommée la salle du Bataclan à l’époque par les jeunes danseurs. Le Bataclan, c’est la salle qui accueille la première tournée de hip-hop US en France, les premiers après-midis mix de DJ Chabin, les premières battles de danse et de rap, et l’une des premières salles parisiennes à accepter d’accueillir ce nouveau public qui débarque alors de banlieue.
La tournée “New York City Rap Tour” :
porte d’entrée du Hip-Hop en France
Initiée par Bernard Zekri (à l’époque journaliste à Actuel) et Alain Maneval (à l’époque animateur sur Europe1), le “New York City Rap Tour“, permet à la France de découvrir les pionniers du mouvement hip hop. Le 21 novembre 1982, la tournée s’ouvre par une date au Bataclan. Sur scène, « la crème du Bronx » : Afrikaa Bambataa et toute une bande de danseurs et de graffeurs parmi lesquels DST, Rock Steady Crew, Dondi, Futura 2000 (accompagné par le grand Mick Jones des Clash), Fab Five Freddy… enchainent des performances où toutes les disciplines de la culture hip hop sont présentées.
« Sur scène, on se retrouve avec Grand Mixer DST et Bambaataa qui scratchent, des mecs qui rappent, d’autres qui font des graffs dans le fond, d’autres de la danse, des filles qui font du double dutch. Tout ça arrive en pleine tête de ceux qui faisaient du roller ou du jazz rock, ils ne comprennent rien ! »
Le spectacle au Bataclan a eu l’effet d’une claque pour plusieurs futurs pionniers du mouvement hip-hop français : Dee Nasty, Solo, Pascal Blaise ou Dan de Ticaret… Ceux qui ont assistés à la tournée ou qui l’ont vue à la télé (la tournée était retransmise dans Megahertz) ne comprenaient pas vraiment ce qu’ils voyaient mais sont restés scotchés par l’énergie dégagée par les artistes, et cela a fait naitre chez eux l’envie de faire partie de cette contre-culture et d’apporter leur pierre à l’édifice. Comme le précise Vincent Piolet, « C’est à partir de ce moment-là que toute une partie de la jeunesse va quitter la musique des grands. »
« En France, les gens ne comprenaient pas très bien ce qu’était ce mouvement. Faut comprendre l’époque, personne n’avait jamais vu ça. Quant aux gens de la musique, ils pensaient que cela allait durer trois semaines… »
Les après-midis de DJ Chabin :
du « smurf » auX premiers raps
Aux platines du « Bata » tous les samedis après-midi, DJ Chabin crée en quelques mois un climat propice à l’émergence et l’installation de la culture Hip-Hop en France. Ces après-midis permettent une immersion directe dans un ensemble de pratiques artistiques. Tout d’abord, la danse : DJ Chabin fait se défouler de jeunes danseurs qui viennent s’essayer à un nouveau style de danse Hip-Hop : « le smurf ». Le Smurf serait, selon la légende, une appellation française erronée du Popping, tirant son nom de la bande originale du film les Schtroumpfs aux USA, titrée « Let’s Do The Smurf » et dont le clip montre des danseurs de Popping. Parmi les meilleurs danseurs de Smurf et de Breakdance du Bata on pouvait croiser un certain « Joey », ainsi que Kool Shen, juste avant qu’ils forment leur duo Suprême NTM.
« La banlieue venait dans la capitale pour s’amuser […] Tout le monde se mit au break et au smurf, et l’on pouvait croiser dans cette foule du Bata une multitude d’acteurs qui feraient le hip-hop de demain, qui smurfant comme le grand et maigre Joeystarr, qui breakant comme l’athlétique Kool Shen, qui sautillant comme le jeune Solo… »
Petite leçon de Smurf avec Sydney, animateur de la légendaire émission télévisée H.I.P H.O.P
Le rap reste une discipline mineure de la culture hip-hop à cette époque : les vraies stars sont les breakers et les graffeurs. Karim Hammou et Vincent Piolet précisent d’ailleurs, qu’au début des années 1980, les premières traces de Rap dans la discographie française se trouvent « chez des artistes assez éloignés de la culture hip-hop: Plastic Bertrand, Chagrin d’Amour, Interview…»
Mais dès 1983, DJ Chabin passe de plus en plus de Rap US au Bataclan, et laisse aussi la main à de jeunes DJ comme Dee Nasty et Franck, qui étaient plus branchés rap. On entend les premiers Rap US au Bataclan, mais c’est aussi l’endroit où sont scandés les premiers raps, en yaourt et en français. En effet, deux conceptions du rap s’affrontent : Comme le souligne Karim Hammou dans son Histoire du Rap en France, « La ligne de fracture se situe entre les tenants du rap en anglais et ceux qui cherchent à s’approprier l’interprétation rappée en langue française ».
« Le message, c’était “il y a une nouvelle musique et il y a des mecs qui prennent le micro pour chanter par dessus !” . En 1983, les premiers français qu’on a entendu, c’était Domi T, Gary Gangster 8 qui rappaient en anglais les morceaux de Grand Master Flash »
Fin 1983, le succès des après-midis du DJ Chabin est tel que la salle du Bataclan devient trop petite. Les organisateurs délocalisent le Bata vers la salle de la Grange-Aux-Belles, place du Colonel Fabien, où près de 2000 personnes se réunissent désormais chaque week-end ! Puis dès 1986, le Dj Dee Nasty organise des « block parties » comme dans le Bronx, dans un terrain vague en face du métro La Chapelle, et qui rassemblent toutes les disciplines de la culture hip-hop : DJs, danseurs, graffeurs et rappeurs.
Depuis, le hip-hop a cessé d’être une contre-culture et dès le début des années 1990 et le rap a enchaîné les succès : MC Solaar, Assassin, Suprême NTM, IAM… Et le Bataclan a continué à être un lieu d’accueil premier de ces esthétiques. On se souvient des trois concerts mythiques de NTM en 1995, de Kery James en 2009 ou plus récemment de Zola en décembre 2019 !